Gabon, grandeur nature
Avec 85 % de forêt équatoriale et treize parcs nationaux,
ce
pays
d'Afrique centrale s'ouvre à un tourisme écologique
pour
les
amateurs d'étendues vierges et de faune sauvage préservée.
Mauro Galligani/Contrasto
Il est 2 heures du matin sur la pointe Sainte-Catherine, au nord du parc national de Loango. Sur cette langue de sable blanc qui s'étire à l'infini le long de l'Atlantique, rien ne semble perturber le silence. Rien, si ce n'est le râle saccadé d'une tortue luth surgie dans l'obscurité après avoir pondu et enfoui ses oeufs sous le sable.
Suivant une chorégraphie au ralenti, le mastodonte de 400 kg se dirige vers la mer en battant des nageoires. Dans soixante jours, les petites tortues briseront leur coquille et, si elles ont la chance d'être épargnées par les nombreux prédateurs, elles répéteront à leur tour ce rite immuable.
Au large, la lueur des torchères d'une plate-forme maritime de forage pétrolier rappelle une autre réalité du Gabon, où l'or noir constitue encore une des principales ressources avec l'exploitation du bois. Demain, peut-être, des visiteurs moins chanceux pourront marcher quatre heures dans le sable et ne rien voir de ce spectacle.
"On ne veut pas être un Kenya bis, où chaque jour les touristes exigent leur dose de photos et d'espèces nouvelles", insiste le biologiste Lee White, qui dirige l'antenne gabonaise de la Wildlife Conservation Society (WCS), une ONG américaine fondée en 1894. Depuis que le président Omar Bongo a proclamé, lors du Sommet de la Terre à Johannesburg, en 2002, la création de treize parcs nationaux sur près de 11 % du territoire, la préservation de l'environnement est aussi une affaire d'Etat. Avec l'épuisement des réserves d'or noir, le Gabon se tourne désormais vers l'or vert, trésor inestimable de ce pays du bassin du Congo tapissé à 85 % par la forêt tropicale.
Pour l'heure, ils ne sont guère que 5 000 amateurs de nature à choisir chaque année le Gabon, qui abrite un grand nombre d'espèces vivantes connues de la planète. "Pour attirer des investisseurs privés, c'est important de montrer que l'écotourisme est un moyen de valoriser les ressources naturelles tout en générant des profits", explique Rombout Swanborn, un homme d'affaires néerlandais, qui a fait fortune dans le pétrole et se consacre aussi à la sauvegarde de l'environnement avec sa concession privée du parc national de Loango.Sur les bords de la lagune Iguela, son "écolodge" fait figure de modèle, en hébergeant touristes et équipes du WCS. Entre forêts, savanes, mangroves et plages, le parc, situé à quarante minutes de vol de Libreville et deux heures de piste, accueille des écosystèmes d'une rare diversité.
Au large des plages réputées pour le spectacle d'hippopotames "surfant" tranquillement dans les vagues, on croise, entre juillet et septembre, la plus grande concentration de baleines à bosse, après l'Afrique du Sud. Et chaque saison d'apporter son lot de surprises, comme ces envols de guêpiers roses au soleil couchant qui transforment le sol en un vaste bac à sable, de septembre à décembre.
"C'est un accident de l'histoire si la nature a repris ses droits, remarque Richard Oslisly, archéologue et responsable des formations du WCS au Gabon, beaucoup de gens ont abandonné l'endroit pendant l'esclavage." Sur les berges de la lagune, des morceaux de faïences et quelques tombes mangées par la végétation témoignent de la présence de comptoirs coloniaux entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui, une bonne partie des 1,3 million d'habitants sur une surface équivalente à la moitié de la France est concentrée dans les villes et le long des axes routiers.
D'où cette impression grisante d'être le premier ou presque à fouler le sol et l'attitude plus curieuse qu'apeurée d'animaux qui n'ont jamais vu l'homme, même si le braconnage continue ses ravages, comme en témoignent les étals de viandes de brousse sur les marchés de Libreville ou de Port-Gentil.
Le temps ne semble pas avoir de prise sur ces paysages où les troupeaux de buffles côtoient les potamochères, ce cochon sauvage naturellement burlesque qui semble sorti d'un dessin animé de Walt Disney. Pour éviter les charges, mieux vaut se tenir à bonne distance des éléphants de forêt, dont la petite taille et la peau noire colorée par les tanins rouges des rivières les distinguent de leurs cousins des savanes. Il n'est pas rare de croiser des pachydermes à la démarche titubante, provoquée par leur consommation immodérée d'iboga, une racine aux propriétés hallucinogènes utilisée dans les cérémonies bwiti au cours desquelles on convoque la mémoire des ancêtres.
Aux abords des rivières irriguant la lagune, les mangroves à l'architecture tentaculaire sont le royaume des crocodiles du Nil et autres faux-gavials, dont les yeux brillants comme des phares dans la nuit trahissent la présence. Il faut fendre les eaux noires pendant près de trois heures pour atteindre le campement d'Akaka, quelques tentes dressées en lisière de forêt, où les guides invitent les visiteurs téméraires à suivre la piste des grands mammifères venus s'abreuver. "La nuit, on entend parfois les panthères qui grondent", confie Jean-Claude Mouendza, un botaniste gabonais chargé d'inventorier les 5 000 espèces végétales du parc de Loango. Pour lui, tout se devine et se pressent, au bruit d'une branche, au cri d'un oiseau.
Le centre de formation des chercheurs du WCS se trouve à 400 km de là, dans le parc de La Lopé, la première aire protégée du pays depuis 1946. On y accède de Libreville par le Transgabonais la ligne de train qui relie depuis 1986 la capitale à Franceville ou par avion en se posant sur l'herbe au pied du mont Brazza, qui doit son nom à l'explorateur Savorgnan de Brazza, arrivé dans la région en 1876. Les premières traces de peuplement remontent ici à 400 000 ans.
Le survol de la région donnerait presque le vertige, avec cet écran de chlorophylle à perte de vue, déchiré par le lit boueux de l'Ogooué, qui serpente entre les arbres sur 1 200 km et prend sa source sur le versant congolais des plateaux Batéké. Dans les galeries forestières des savanes de la Lopé, on peut tenter de suivre les mandrills, ces singes au museau rouge laqué et au scrotum lilas qui se déplacent en groupes de près d'un millier d'individus. "Il faut être vraiment motivé pour les suivre", assure l'écoguide Jean-Toussaint Dikangadissi, l'oreille vissée sur sa radio pour tenter de repérer certains singes équipés d'émetteurs.
Car, malgré le gigantisme des groupes, il faut s'attendre à traverser, pieds dans l'eau, les ruisseaux, à enjamber les racines enchevêtrées, à endurer les morsures vigoureuses des fourmis sans être assuré d'apercevoir les singes, dont la présence se résume souvent aux fruits abandonnés au sol.
Plus délicate encore est la rencontre des gorilles des plaines sur les affûts cachés de Mikongo, à l'est de la Lopé, malgré des tentatives d'habituation des primates. En 20 ans, leur nombre serait passé de 35 000 à 20 000 en raison des pertes causées par la chasse et le virus Ebola.
A 30 minutes de vol, c'est un véritable eden qui s'offre au regard dans le bai (la clairière en pygmée) de Langoué, au coeur du parc d'Ivindo. Les rares visiteurs qui accèdent au camp de chercheurs, après plusieurs heures de piste, peuvent observer un spectacle d'une émouvante beauté, où les gorilles côtoient les éléphants, les hérons et les troupeaux de sitatungas au pelage roux autour des mares chargées en minéraux. Des visions presque irréelles, comme ces nuages d'écume des chutes de la Djidji, qui écorchent de leur mousse blanche le tapis vert de la forêt.
Anne-Laure Quilleriet
LE MONDE
édition du 31.03.05
Le Gabon est à 7 heures d'avion de Paris. Pas de décalage horaire en hiver et une heure en été. Air France assure quatre vols Paris-Libreville par semaine, à partir de 1 251,57 € (tél. : 0820-820-820). Sur Air Gabon, 3 vols par semaine, à partir de 1 000 € (tél. : 01-43-59-20-63).
Formalités. Vaccin obligatoire contre la fièvre jaune. Traitement antipaludéen vivement recommandé. Visa obligatoire (55 €) délivré par l'ambassade du Gabon, 26 bis, av. Raphaël, 75016 Paris. Tél. : 01-44-30-22-30.
Saisons. Saison sèche de juin à septembre, des températures entre 22 et 25 degrés. D'octobre à mai, saison des pluies, avec des précipitations abondantes, mais limitées dans le temps. Entre juillet et septembre, baleines à Loango. Gorilles à Langoué de mai à juillet. Ponte des tortues : octobre à mars.